Le problème de l’emploi des jeunes, plus que jamais se pose avec acuité dans notre «jeune » pays, le Sénégal. Force est de reconnaître et de saluer que tous les régimes successifs ont eu à prendre des initiatives plurielles et ambitieuses afin de résoudre le problème. Malheureusement, celles-ci se sont révélées vaines. Ce qui nous pousse à innover dans la réflexion avec une approche holistique différenciée. Elle se voudra fortement imprégnée de la dimension économique.
Généralement, pour tous les Etats du monde, l’économie est par essence, l’outil d’affirmation et d’exercice de la souveraineté. Malheureusement au Sénégal, des indépendances à nos jours, nous vivons un mirage économique. J’en veux pour illustrations, certains points du diagnostic sans complaisance de l’économie Sénégalaise, déclinés à travers le PSE 1. Il y est dit :
– « Il n’y a que 300 000 sénégalais (public et prive confondus) qui ont (respectivement) un emploi salarié … Ceux-ci vivent à côté de 1 000 000 d’autres Sénégalais qui ont, eux, des revenus discrétionnaires. » Quid des 14 700 000 sénégalais, qui sont sans revenu ? ceux-là, (faute de revenus) ne peuvent soutenir aucun marché susceptible de fournir des emplois viables.
– « Le prix de l’électricité au Sénégal est l’un des prix les plus chers au monde. » Aucune unité industrielle ou toute autre entreprise ne saurait être compétitive avec un tel fardeau qui va grever lourdement le poste relatif au facteur indispensable à toute production que constitue l’énergie. Partout dans le monde, l’absence de compétitivité est destructrice d’emplois.
– « Le secteur informel représente plus de la moitié du PIB, il constitue une contrainte à la transformation structurelle de l’économie. » l’économie étymologiquement renvoie à la mise aux normes, donc, dans une vision rigoriste, une économie ne peut être informelle. D’ailleurs, l’informel se caractérise le plus souvent, par l’absence ou des défauts de prise en charge de la rémunération des acteurs sur la chaîne de valeur. L’informel occasionne ainsi des situations de sous-emploi au lieu de favoriser le plein emploi avec des rémunérations justes et valorisantes qui corrigeraient les injustices financières.
Si je ressors du PSE pour essayer de revenir sur le quotidien socio-économique du Sénégal. Avec le changement de base, le volume du PIB (la richesse crée annuellement et qui sera théoriquement considérée comme consommée intégralement) est de l’ordre de 12 mille milliards de francs CFA, rapporté à la population de 16 millions d’habitants sur les 365 jours de l’année, donne à chaque sénégalais un revenu journalier qui équivaut approximativement à 2055 f CFA. La faiblesse de ce revenu par tête d’habitant, (qui renseigne de la faiblesse du pouvoir d’achat) ne permet pas aux entreprises publiques et privées de pouvoir rémunérer d’une manière satisfaisante les biens et services proposés qui justifient et entretiennent les emplois existants ou à créer.
Au regard de tous ces éléments précités, nous voyons nettement que la crise chronique de l’emploi au Sénégal, risque encore de persister et de devenir endémique. A moins qu’on puisse lui trouver une solution appropriée prenant en compte les multiples défis économiques, ruptures profondes et réformes audacieuses que sa résolution structurelle nous impose.
En effet, le problème de l’emploi au Sénégal relève plus du choix d’un modèle économique particulier (caractéristique des pays africains) qui n’est pas durable ni suffisamment compétitif que de problèmes de politiques de jeunesse et ou de formation. Ces dernières devront juste s’articuler en parfaite congruence avec le choix des orientations économiques pertinentes afin d’asseoir une compétitivité forte et durable.
En termes de modèle économique, je rappellerai suivant la littérature, celui de certains pays phare :
– Le modèle économique Américain, il repose sur le capitalisme libéral et la forte concentration des moyens de production. Les États-Unis sont un pays capitaliste dans lequel la liberté d’entreprendre est un droit fondamental.
– Le modèle économique Chinois, depuis 1976, année de l’accession au pouvoir de Deng Xiaoping, la Chine a développé un modèle fréquemment nommé « économie socialiste de marché », qui fait se côtoyer un secteur public toujours omniprésent et un certain libéralisme économique, ainsi qu’une ouverture progressive de son marché intérieur.
– Le modèle économique Allemand, il est fondé sur l’économie sociale de marché, place les entreprises au cœur de la stratégie économique et de l’intégration sociale. La croissance économique et le niveau de la consommation dépendent de leur compétitivité.
Si, celui du Sénégal s’apparente plus aux deux premiers qui ne manquent pas d’être avantageux et intéressants, je considère que (compte tenu de notre histoire récente et de nos ambitions) la référence devrait être le modèle économique Allemand.
Restons sur le modèle économique sénégalais, qu’est ce qui le particularise au-delà de ses accointances avec ces idéologies et théories socio-libéralo-démocratiques ? Il est essentiellement basé sur l’assistanat et l’informel qui y instaurent des plages de gratuité et la prééminence de coûts implicites multiformes qui ne seront jamais suffisamment pris en charge, au détriment de la compétitivité économique et de la pérennité d’emplois décents et viables.
Pour preuve, caricaturalement, il est souvent admis que notre pays a une économie sous perfusion : l’Etat recevrait chaque année, sous forme d’aides publiques et autres libéralités ou dons, une somme qui tournerait autour de 500 milliards de francs CFA ; la population quant à elle, recevrait annuellement, à travers les revenus de transfert, une somme qui tournerait autour de 1 000 milliards de francs CFA. Alors que « la gratuité tue l’économie », tuant au passage tous les emplois que celle-ci devrait générer durablement.
Ce modèle économique sénégalais, empreint d’assistanat (impliquant une forte gratuité) et d’informalité, ne peut être que vulnérable à bien des égards, surtout dans sa résistance et sa capacité à offrir des emplois durables aux jeunes sénégalais. Constatons donc, pour le déplorer que l’employabilité de nos jeunes semble être prise dans des pièges inextricables. Son développement va nécessairement demander plus d’organisation et d’efforts colossaux afin d’accroitre davantage sa capacité d’offre. Actuellement, parmi tant d’autres, elle souffre foncièrement des effets d’un étau à double mâchoires, une mâchoire fixe (interne) que constitue l’accaparement et une autre mâchoire mobile (externe) dévastatrice qui est opérée par la compétition et la compétitivité internationale.
Afin de trancher cet énorme écheveau de l’emploi au Sénégal, poursuivons les efforts dans la réflexion avec les innovations idoines que nous dictent la ténacité et la complexité des réalités. En effet le problème de l’emploi reste et demeure une question éminemment économique. Donc sa résolution et ou sa prise en charge structurelle passeront inéluctablement par des solutions et ou résolutions déterminées hautement économiques.
Ceci nous permet d’inviter la plus haute autorité du Sénégal qui a déjà fait preuve à suffisance, d’une volonté politique certaine à résoudre le problème, à faire engager les travaux de recherches et d’études qui permettront de diagnostiquer pour reprendre et ou corriger notre modèle économique qui du reste demeure non performant et non compétitif.
L’adoption prochaine d’un nouveau modèle économique plus favorable à la création, à la production d’emplois, nous permettrait de pouvoir développer un atlas de l’emploi pour le Sénégal. Un atlas de l’emploi est un document de planification dans lequel suivant les orientations et le modèle économique, il y est possible d’y répertorier avec un maximum d’optimisation l’ensemble des emplois (décents et durables) potentiels à créer dans le public et surtout dans le secteur privé sur les cinq prochaines années.
Au regard des derniers événements malencontreux qu’a connu notre pays le Sénégal, il urge de trouver une solution structurelle à ce lancinant problème de l’emploi des jeunes qui sera davantage amplifié par la croissance démographique, caractérisée par sa positivité et la juvénilité de ses sujets.
Empressons nous pendant qu’il est encore temps! Tous les emplois du monde sont menacés par la machine.
Doudou NDIAYE, chercheur en économie : kadjii2006@yahoo.fr