ENTRETIEN : Une semaine après les élections locales du 23 janvier 2022, l’heure est aux enseignements. C’est à cet exercice que se livre le président du Mouvement Arc-en-ciel, devenu parti politique sous le nom « Euleuk Subir ». Sheikh Mamadou Dieng, natif de Thiès est d’avis que Idrissa Seck a subi plus qu’une défaite, mais a pris une « raclée ». Il évoque également d’autres questions liées à la situation socioéconomique du Sénégal. Entretien.
L’INFO : Le Sénégal vient de vivre des élections locales très attendues, quels enseignements en avez-vous tiré ?
Sheikh Mamadou DIENG : Les premiers enseignements que j’en tire c‘est que d’abord ce sont les premières élections aux suffrages universels directs que nous avons arrachées à la majorité pendant le Dialogue politique. Beaucoup de leaders ne voulaient du Dialogue et nous avaient même critiqués mais ; aujourd’hui, ils ont vu qu’on avait bien fait. En effet, en exigent que le nom du futur maire soit connu avant le vote, nous les avions mis dans l’embarras. Car leurs têtes de listes étaient tellement impopulaires, qu’ils n’avaient pas beaucoup de chances de gagner avec ce système. Et c’était là la clé des élections !
Il y a eu également comme enseignements les déconvenues du Président Macky Sall qui vient de perdre les principales villes, malgré l’argent du Corona business et les autres sources de financement. Jamais on n’a mis autant d’argent pour faire basculer un vote !
Vous parlez de déconvenue, mais le Président Macky Sall dit qu’il a gagné le vote populaire à 80%…
Ce sont des histoires que ses partisans lui racontent et il a fini par le croire mais si on perd la Capitale de la manière dont Abdoulaye Diouf-Sarr l’a perdue, quand le propre frère du Président est battu à Guédiawaye par celui qu’on attendait le moins, son oncle Abdoulaye Timbo qui a obtenu une victoire à la Pyrrhus qui s’est joué sur un conseiller et qui a d’ailleurs toutes les chances d’être invalidée pour fraude, on est dans un scénario catastrophe qui n’augure rien de bon. Regardez ce qui s’est passé à Kaolack parce que depuis qu’il est là, il a voulu combattre et écarter un homme d’affaires compétent qui a été contraint de descendre dans l’arène politique pour prouver ce qu’il peut représenter dans le pays ! Il faut y ajouter la situation inédite de Touba qui a toujours voté pour la liste du Parti au pouvoir. Pour la première fois, la liste du Président Macky Sall a été sanctionnée par des bulletins blancs.
A Thiès par contre ce n’était pas une défaite mais une raclée! Idrissa Seck appuyé par le premier vice-président de l’Assemblée nationale Abdou Mbow, Abdou Fall le puissant transfuge du Pds, une kirielle de Directeurs généraux et PCA a été « corrigé » dans son propre bureau de vote d’abord, ensuite dans son centre, puis dans sa
Commune et même dans sa ville. Les Thiessois disent avec une pointe d’humour que « MBorok soow » qui devait assurer à Macky Sall comme il l’a dit lui-même 80% de l’électorat, n’a pas marché !
Il y’a aussi Ziguinchor et Tamba
Il y’a partout, Rufisque avec le Professeur Ismaëla Madior Fall, Diourbel avec le Ministre Dame Diop…une sorte de mini référendum !
Quelles explications donnez-vous à cette situation ?
Pour moi, il y’a d’abord le rejet massif de la politique appliquée par la majorité présidentielle. Benno Bokk Yakar n’a pas gagné une seule commune parmi les 19 que compte Dakar. C’est un sentiment général de ras le bol lié aux règlements de compte permanents qui est le mode de gouvernement de Macky Sall. Combien de gens ont été mis en prison ou contraints à l’exil. Il y’a aussi ceux qui ont été injustement privés de leurs droits civiques comme Khalifa Sall et ce système de vote taillable sur mesure, avec un système de parrainage inique que nous avons combattu.
Il y’a ensuite la gestion ethnique et clanique du pays et surtout l’incompétence de son équipe. Ce sont des échecs partout avec les détournements, le chômage des jeunes, les difficultés socio-économiques et tout le débat sur le troisième mandat.
La conjoncture économique difficile a aussi joué en défaveur du pouvoir ?
La situation des entreprises publiques n’est guère plus reluisante parce que Macky Sall nomme des gens qui n’ont aucunement le profil de l’emploi, des Directeurs généraux ou des Présidents de Conseil d’administration qui ne savent même pas ce qu’est un compte d’exploitation ou un bilan. Regardez ce qu’est devenu La Poste après le passage de Siré Dia, on nous doit des explications ! Ce qui se passe au Port autonome de Dakar où la société supporte des charges qui n’ont rien à faire avec son objet social est autrement plus scandaleux. Ce n’est pas étonnant d’ailleurs que les Directeurs qui y passent finissent souvent en prison !
Mais, il n’y a pas que seulement les raisons économiques
Il y’a aussi l’émergence d’une nouvelle génération de leaders politiques qui veulent s’opposer résolument à Macky Sall. Ousmane Sonko où Barthélémy Diaz, par exemple ont eu un langage clair, courageux et sont devenus, de fait, les porte-étendards incontestés d’une jeunesse désemparée qui veut en découdre avec le régime de Macky Sall.
L’enseignement que j’ai tiré du scrutin à Thiès et à Dakar essentiellement, c’est que les éléments de « Yéwwi Askan wi » qui pourtant n’étaient pas très connus dans le landerneau politique classique, sont perçus par beaucoup de Sénégalais comme une coalition de combattants. Les gens ont souvent voté sans discernement !
Que vous inspire le débat sur l’homosexualité ?
Je ne comprends pas les imams et tous ceux qui pestent sur la question de l’homosexualité. Macky Sall a délibérément introduit la notion de « nouveaux droits » dans la Constitution sans demander à personne son avis. Nous avions battu campagne pour qu’il nous dise ce que cela signifie par rapport à ce qu’on appelle pudiquement « l’orientation sexuelle ». Où donc était Mame Mactar Guèye et ses amis ? Aucun d’entre eux n’a voté clairement « non » lors du référendum constitutionnel du 20 mars 2 016. C’est peut-être par paresse ou bien par ignorance mais en tout état de cause, on ne les avait pas entendus !
La campagne de commercialisation de l’arachide est un échec avec l’absence des Chinois. Quel est votre avis en tant qu’économiste ?
Ce n’est pas un échec mais une catastrophe ! L’Etat avait fixé le prix de l’arachide à 250 francs, mais actuellement les paysans vendent à moins de 200 francs s’ils voient encore un acheteur. Tout le monde savait que les Chinois allaient s’arrêter. Ils avaient d’ailleurs averti que les paysans sénégalais mettent trop d’engrais chimiques dans leurs cultures. Le monde moderne fait beaucoup attention à ces questions d’engrais et de fongicides mais nous, on cultive encore comme grand-père. Il n’y a plus d’encadrement ou de conseil au paysan comme à l’époque avec la SODEVA. Aujourd’hui, tout le monde se demande où se trouve la Direction de la protection des végétaux et voilà à quoi cela nous mène. Actuellement c’est partout la trituration « àl ’ancienne » de l’arachide. Il y a donc de hauts risques de cancer du foie parce que la méthode traditionnelle de trituration n’élimine pas
L’aflatoxine.
Propos recueillis par Mamadou SARR