Je suis à ma troisième année dans la région de Matam. Objectivement, l’Etat n’a absolument rien fait par rapport aux multiples attentes des populations. A notre humble avis , nos États bien qu’ils ont fait des efforts dans la construction du pays, il est une évidence que tous nos Présidents ont jusque là fait un travail insuffisant par rapport à ce qu’ils devaient et pouvaient faire. Mais Matam paraît être l’une des régions qui souffrent le plus de cette incurie et de l’échec de nos politiques de développement. .
Depuis longtemps, le président Macky Sall a entamé la construction de la longue route Saint-Louis Louis, Ndioum, Thilogne, Ourossogui et par delà ; mais, croyez moi, depuis des années, cette route n’est pas encore achevée. Les populations de cet axe font la croix et la bannière pour rejoindre Ourossogui. L’on a vu que l’approche des élections accélère le bitumage de cette route alors que les travaux décélèrent dès lors que celles-là se terminent. Ce que l’on perd souvent de vue ou l’on prétend oublier, c’est que la construction d’infrastructures est une tâche qui incombe avant tout à ceux qui gèrent l’argent du contribuable. Donc, la construction d’une route, au-delà d’être une demande sociale, est une obligation étatique. Ce qui nous incline à croire que l’on ne doit pas jubiler pour l’inauguration d’une infrastructure, c’est un devoir étatique.
J’ai fait plusieurs villages dans la région de Matam et j’ai vu des routes impraticables. Des routes bitumées, il en existe rarement.J’ai vu des populations enserrées par les eaux des pluies et qui se déplacent difficilement à cette période. Plusieurs villages dans cette région ne sont pas électrifiés et ne sont pas reliés par des routes goudronnées et ce n’est pas seulement dans cette région. À Matam, j’ai vu une jeunesse qui chôme or le fleuve Sénégal passe dans la région laquelle dispose de vastes terres arrables très riches et propices à l’agriculture.D’ailleurs, cette région fait partie des plus vastes du Sénégal disposant également de ressources minières.
A Matam, le soleil, l’eau, le vent et la chaleur ne manquent pas pour avoir de l’énergie, source essentielle pour l’exploitation de la terre et l’alimentation des matériels électroménagers.
J’ai vu à Matam des moutons, des boeufs, des chèvres, bref un cheptel très composite avec leurs cortèges de produits alors qu’à ma connaissance cette région ne dispose pas d’usines de transformation des produits qui résultent des animaux.
Pour le Fouta, l’Etat opte souvent pour le chantage émotionnel et ethnique consistant à dire quelques mots pulaars ou rappeler ses liens avec la langue ou avec la localité pour drainer les foules. On n’élit pas un président pour son ethnie, sa culture, sa religion, sa confrérie mais pour qu’il gère le pays dans sa diversité. On a tous compris le propos non sans moins polémique du président qui faisait de cette localité son bastion électoral. Cela pour dire peu importe son travail dans cette région et au delà pour le Sénégal, il n’y sera pas évalué en termes d’objectifs atteints mais en tant que président qui a les racines qui s’enfoncent dans les coeurs de la population de cette région et c’est dangereux. On n’évalue pas un travail étatique sous l’angle de la subjectivité mais à partir des données objectives qu’offrent les résultats. Heureusement qu’au Fouta certains ont compris cela.
Hier 20 mars aux environs de 21h, une voiture circulait dans mon village à Ogo avec une chaîne à musique dont les sonorités fendaient les murs du bâtiment dans lequel je me trouvais. La voiture est passée derrière ma fenêtre avec de la musique qui faisait penser aux époques de compagne électorale. Je ne savais pas de quoi il s’agissait parce que j’avais du mal à saisir l’annonce du speaker car son discours était en Puular or mon niveau en Pulaar est faible pour analyser et comprendre ses propos. Le lendemain, j’ai demandé à mes collègues et ils m’ont fait comprendre qu’il s’agissait d’un meeting qui se profilait à l’horizon au stade régional de Matam. Complètement en désaccord et en toute objectivité, le lendemain des gens ont organisé une manifestation pour fustiger de telles festivités simplement futiles et par delà decrié la mauvaise politique de l’Etat dans la région de Matam. Ces populations ont monté au créneau, au premier chef le maire de Ourossogui, pour dire que la souffrance des populations est plus importante que la flatterie des meetings, que l’Etat doit être là pour régler les problémes des populations et non pas flatter leur ego à travers des manifestations superfétatoires et budgétivores. Et il faut dire avec énergie qu’une telle posture est à saluer d’autant plus que ces populations ont montré à la face du monde que le supportariat politique ne doit pas être sous-tendu par une fibre ethnique, même quand on est avec quelqu’un, l’on doit avoir le courage de garder sa distance critique et dire non quand il le faut. J’ai été ému quand j’ai vu une pancarte dans laquelle est il marqué : » Matam dit non !. » N’est-ce que pas c’est le président qui disait que le Fouta est son titre foncier électoral.
La manifestation s’est alors organisée le lendemain 21 mars sous l’égide du Ministre de la justice Maître Malick Sall et son compère Farba Ngom à hauteur de 120.000.000f d’après les informations. D’ailleurs, beaucoup de sénégalais soucieux du bien être de leurs congénères ont décrié de telles festivités surtout dans une période très trouble et difficile. Les urgences du moment sont ailleurs bien visibles. Le Sénégal traverse des moments difficiles du fait de la pandémie et des mesures irréfléchies imposées à des citoyens fatigués. Ils continuent de traîner les séquelles de ces mesures fatigantes inadéquates à nos réalités socioculturelles. L’on ne peut pas chanter, danser, sauter, hurler, applaudir au moment où des jeunes sont morts assassinés et un deuil national organisé à leur honneur, il n’y a pas longtemps. L’on ne peut pas organiser des meetings si l’on a compris, comme le président l’avait avoué, que la jeunesse est frustrée de ne pas trouver du travail dans son propre pays. Les 500 morts de l’émigration en disent long. Le président a peut être oublié de dire un mot à l’intention de ces âmes dont le souffle vitale et l’espoir sont englouties à jamais dans les océans qui les conduisaient vers l’Eldora.
Un meeting dans un tel contexte n’est rien d’autre qu’un désir sournois de camoufler l’indignation et la frustration de ces dignes populations de cette localité toujours oubliées par l’Etat. En réalité, ce que l’on veut, c’est flatter les égos, domicilier éros, endormir la masse critique par la musique et le folklore. C’est vrai que l’Art qui chante et danse est beau mais l’art qui expose les urgences du moment est plus utile. Dans un contexte social difficile, cette forme d’art voile au lieu de dévoiler les contradictions qui meuvent une société. Face à la misère sociale, la musique ne fait pas le poids. Les passions, les émotions sont souvent exploitées par les politiques pour faire oublier la dureté du réel.
Aussi, l’on sait que le président est en train de perdre sa cote de popularité voilà pourquoi il n’hésite pas à envoyer sur son bastion son ministre de la justice et ses lieutenants du Fouta pour subjuguer les foules afin de leur faire oublier les conditions difficiles que traverse le pays. C’est insultant de tenir un meeting de cet acabit et y tenir un discours ethnocentrique et incendiaire quand le Sénégal n’a pas fini de pleurer ses morts lors des récentes échauffourées. Heureusement que les populations du Fouta n’ont pas adhéré à la division ethnique que veut installer ce discours satanique dangereux pour un pays. C’est kafkaïen de tenir un meeting au moment où d’après leurs statistiques les gens meurent de covid au Sénégal. Comment un ministre de la justice peut-il assister à un meeting dans un tel contexte jusqu’à incriminer un citoyen dont le dossier est pendant en justice ? Finalement, l’on connaît la chanson » nous n’avons pas une justice indépendante ». Celle-là est manœuvrée par des politiciens au service du président. L’effet que ce meeting aura dans leurs esprits, c’est simplement une bonne conscience consistant à dire que certaines populations sont toujours à nos côtés. Les meetings ne font que commencer parce qu’ils ont un ennemi à abattre et ils doivent mobiliser l’argent du contribuable pour les organiser afin de gagner la bataille de l’opinion qu’ils ont perdue au nom de la vérité intemporelle et de leur politique improductive. Chacun peut faire sa campagne, mais ceux qui ont l’argent du contribuable doivent regarder ailleurs, tellement les priorités sont brûlantes. Surtout que le chef suprême de la nation s’est vu brûler les doigts en s’interdisant, pour l’instant, un illégitime et illégal troisième mandat. Raison de plus pour travailler pour le peuple pour l’amour de Dieu et de la patrie. Au lieu de faire des meetings, de grâce luttez pour que nous ayons l’autodétermination avec à la clef des vaccins sénégalais, des entreprises, des écoles, des usines, des universités, un niveau de vie décent, une balance commerciale excédentaire, des hôpitaux, de l’eau, de l’électricité pour tous, des routes partout, des villes et des villages propres, du travail hic et nunc pour les jeunes, une recherche poussée pourquoi pas lancer un sattéllite comme la Tunisie.
PS : Ce qui a le plus fait rire dans cette manifestation à Matam, c’est que l’on a vu le gouverneur de la région qui travaille le dimanche( quelle patriotisme ! ) et qui reçoit des mains de Farba Ngom, une résolution, une motion que ce dernier ne peut pas expliquer devant les caméras. C’est risible !!!
El Hadji Fallou Samb, professeur de philosophie à Ogo ( Matam )
Texte pertinent et percutant. La manière objective avec laquelle vous décrivez la réalité doublée avec votre sens de l’éloquence renseigne tout en donnant plaisir de lire.
Pertinent et limpide. Avec juste un client d’oeil sur ces écrits on rendra compte ce que vit reellement mon cher fouta.