L’arène politique est actuellement marquée par une morosité, perceptible à bien des égards. C’est ainsi qu’à la Cité du Rail, qui jadis était politiquement bouillonnante, un calme olympien est noté sur le terrain, avec des partis politiques qui brillent par l’omerta. La plupart des leaders de l’opposition se sont emmurés dans le silence et conséquemment à une telle situation, certains observateurs prédisent une mort programmée des partis politiques classiques.
La ville de Thiès est d’habitude politiquement bouillonnante, avec des activités qui se comptent à la pelle, notamment le week-end. C’est en effet dans cette capitale du Rail, où ont été posés les plus grands actes, qui ont abouti aux combats politiques les plus célèbres au Sénégal. C’est à partir de la Promenade des Thiessois (Ex Place de France) que les premiers signaux de la survenue de la première alternance politique en 2.000, ont été perçus. C’était en février 1988, lors d’une bataille épique entre le Parti Socialiste (PS), parti au pouvoir d’alors et le Parti Démocratique Sénégalais (PDS), la locomotive de l’opposition. Ce climat politique chargé à Thiès avait fini d’envahir presque tout le pays et même s’il avait été déclaré vainqueur, le Président Abdou Diouf avait du mal à gouverner. Ces mêmes clichés se sont reproduits en 1993 et en 2.000 et Me Abdoulaye Wade candidat de l’opposition est passé comme lettre à la poste. C’est encore à Thiès, où les signes du départ du pouvoir de Me Abdoulaye Wade ont commencé à se faire sentir dès 2004, à la suite de ses divergences politiques très profondes avec son ancien Premier Ministre et ancien numéro 2 du parti, Idrissa Seck, qui était également le maitre incontesté du jeu politique local. Mais aujourd’hui, à la suite de l’arrivée au pouvoir de PASTEF, la donne a totalement changé et un silence de cathédrale règne dans l’espace politique, avec des leaders qui brillent par leur absence, avec zéro animation dans les chapelles.
Et cette même morosité est aussi perceptible à l’échelle nationale. Selon certains observateurs, une telle situation est de nature à fragiliser les partis politiques classiques et d’autres n’hésitent pas à prédire leur mort programmée, si l’on y prend garde.
Pour Cheikh Tidjane Lô de la plateforme Alternative pour un Thiès Émergent (APTE), il est évident que la morosité politique est une réalité dans le pays, depuis l’avènement du nouveau régime. Et à ses yeux, le développement fulgurant des réseaux sociaux y est pour quelque chose. C’est ainsi que pour lui, les partis politiques classiques ne détiennent plus « le monopole de la vérité » dans l’espace. Il ajoute que d’ailleurs, ils ne sont plus dans une logique organisationnelle, à travers des montages de secteurs, de réunions régulières et permanentes d’instances. Tout se passe maintenant dans les réseaux sociaux, qui constituent la girouette guidant le choix de la plupart des électeurs. Ce qui de l’avis de Cheikh Lô, a largement contribué à les détacher des partis politiques, et avec cette tendance, les partis classiques risquent de disparaître et les militants seront ainsi de simples électeurs qui, le jour du scrutin, vont tranquillement exprimer leur choix, sans tambours, ni trompettes. Pour les rares manifestations politiques qui se tiennent, il souligne qu’il est fréquent de retrouver les mêmes têtes, même si l’organisation porte la signature de partis différents. Tout cela, pour dire qu’effectivement, dans une dizaine d’années, il est possible d’assister à la mort programmée des partis politiques classiques, et une mutation inévitable va s’opérer, faisant des militants, des citoyens politiques. Il laisse entendre que les premiers signes ont d’ailleurs commencé à se manifester depuis quelques années, à travers les mobilisations politiques, qui nécessitent de grands investissements financiers, pour espérer regrouper une foule. Cela veut dire que la question de l’idéologie est déjà rangée dans les tiroirs de l’oubli.
« C’est d’ailleurs cette réalité, qui a financièrement affecté tous les industriels, qui ont fait éruption dans l’arène politique. Ils ont investi des sommes colossales, pour mobiliser les populations autour de leur vision politique, mais chaque fois, le verdict des urnes a reflété une image contraire. L’alternative pourrait être dans la création de mouvements citoyens et ce rythme a déjà commencé. C’est parce que les populations ont finalement compris, que les partis politiques ne sont en réalité que des lieux de conquête du pouvoir et de privilèges personnels. C’est dans ce sillage que les Sénégalais ont commencé à les démystifier, d’autant plus qu’ils renvoient chacun à un leader inamovible. C’est pourquoi, dès qu’il est vomi par la base, le parti devient infréquentable » a-t-il indiqué.
C’est au regard de toutes ces considérations, qu’il est d’avis que les prochaines élections locales, risquent de voir l’émergence de beaucoup de mouvements citoyens, qui vont s’emparer de beaucoup de collectivités territoriales.
« BEAUCOUP DE LEADERS DE L’OPPOSITION EVITENT DE CROISER LE FER AVEC DES GENS, QUI N’OBSERVENT AUCUNE REGLE DE BIENSEANCE »
Lamine Diallo ancien Maire de Thiès Nord note que la morosité politique constatée sur le terrain, relève du fait que l’opposition ne s’est pas encore relevée de la double déroute électorale, lors de la présidentielle et des élections législatives. C’est la première fois dans l’histoire politique du pays, qu’un candidat de l’opposition gagne la présidentielle dès le premier tour, avec plus de 54 %. Il explique que l’opposition actuelle, avait pensé pouvoir inverser la tendance lors des législatives, en améliorant ses performances électorales, à travers des regroupements et même la mise en place d’Inter coalitions.
Mais cette initiative n’a pas produit les effets escomptés, et la défaite a été plus cuisante. A l’en croire, ces deux coups de chaos, font que l’opposition peine à se relever, pour retrouver ses marques dans l’espace politique. Il s’y ajoute à ses yeux, que le parti au pouvoir brille également par son absence sur le terrain, et cela est consécutif au fait qu’il est confronté à la dure réalité de l’exercice du pouvoir. Et d’après lui, ce pouvoir peine aujourd’hui à apporter les bonnes solutions, devant permettre de prendre en charge les attentes des populations. Ce qui a un impact sur ses troupes et la déception commence à gagner les rangs. Ce qui a engendré une certaine torpeur au niveau de la mouvance présidentielle de manière générale.
Poursuivant son argumentaire, il souligne que tous ces constats, renvoient à la triste réalité d’une mort programmée des partis traditionnels, comme le Parti Socialiste (PS), l’Alliance des Forces de Progrès (AFP), le Parti de l’Indépendance et du Travail (PIT), la Ligue Démocratique (LD). Et même l’Alliance Pour la République (APR) risque de suivre cette même logique, si elle ne fait pas sa mue. D’ailleurs, il est clair que lors des prochaines élections locales, aucun de ces partis politiques ne peut présenter un candidat pouvant gagner au niveau de la ville de Thiès.
Ousseynou Keita Secrétaire Général de l’Union communale des coordinations socialistes de Thiès estime que la menace de disparition est bien là, et il faut voir la cause dans l’environnement politique, créé par les nouveaux leaders au pouvoir, qui usent de méthodes déstabilisatrices, par rapport aux partis classiques. Or, lesdits partis ont été moulés dans le débat contradictoire, la persuasion, l’échange d’arguments, dans un cadre intellectuel, convivial, correct. Il insiste sur le fait que « la nouvelle génération qui est aujourd’hui là, et qui bouscule l’ancienne pour l’amener à se retrancher, à se retirer, a dans le même temps créé une rupture sémantique. Dans ces conditions, le dialogue n’est plus possible, car ils sont venus avec des méthodes basées sur la violence verbale, le dénigrement de façon ouverte, sans aucun garde-fou.
C’est pourquoi, beaucoup de leaders de ces partis dits classiques, évitent de croiser le fer avec des gens qui n’observent aucune règle de bienséance, et c’est ainsi qu’ils préfèrent se retirer du débat politique et leur laisser le champ libre. C’est la raison pour laquelle, les partis traditionnels ont tendance, non pas à disparaître systématiquement, mais à se retirer, en attendant que l’environnement politique soit plus favorable. En vérité, un parti traditionnel ne meurt pas, même s’il est vrai qu’il peut baigner dans de profondes difficultés, comme c’est le cas actuellement, avec le contexte actuel ».
Il ajoute que ce sont les populations, aujourd’hui très déçues, qui vont un jour régler ce problème et tout parti traditionnel qui s’organise tant soit peu, aura des chances de revenir plus tôt que prévu. Il est aussi indispensable que ces partis aillent dans le sens d’une certaine remise en question à l’interne, pour mettre en branle des réformes, pour mieux rebondir, sans oublier la nécessité d’un rajeunissement. En ce qui concerne le PS, qui est le parti traditionnel, le mieux ancré dans le pays, la procédure est enclenchée, et depuis quelques mois, des responsables ne cessent de tirer la sonnette d’alarme, en mettant également sur la table des propositions de réformes. Il faut aussi comprendre que la situation actuelle ne constitue qu’une parenthèse, et de bonnes perspectives se dressent dans l’espace politique.
Mbaye SAMB (l’AS)