Depuis les années 88, le Sénégal est régulièrement confronté à une situation politique tendue, à la veille des élections présidentielles. Mais cette année, la situation est exacerbée par des dossiers judiciaires opposant la majorité présidentielle et l’opposition. Et aujourd’hui, la tension est à son comble et d’aucuns craignent les prémices d’une violence électorale de tous les dangers, la présidentielle étant prévu dans un an, précisément le 25 février 2024. Ce qui a récemment poussé le Khalif Général de Ndiassane à appeler solennellement toute la classe politique à la retenue, pour parer à toutes les éventualités. Selon lui, la tension est telle qu’il urge que toutes les parties prenantes se retrouvent autour d’une même table, pour renouer les fils du dialogue, pour aller vers des passerelles de convergence.
Le même discours est noté dans tous les autres foyers religieux, qui semblent avoir flairé un danger imminent si rien n’est fait. Cependant, la violence a toujours existé dans l’espace politique dans un tel contexte électoral. C’était le cas en 1988, 1993, 2011. Pour Pape Mousé Diop responsable du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) la violence, politique notée pendant toutes ces années, a la même configuration et elle est générée par les mêmes causes. Il s’agit d’abord de velléités de non respect de la constitution en ce qui concerne les candidatures. Il s’y ajoute à son avis les interdictions de meetings surtout en année électorale. Il indexe ainsi les autorités administratives, qui prennent des arrêtés à bout de champ, pour interdire des manifestations politiques, qui pourtant au regard de la loi, ne nécessitent pas une autorisation, mais une simple déclaration bien évidemment encadrée par la loi.
Avec de telles mesures dit-il, non seulement ces autorités violent la loi avec la complicité de l’administration centrale notamment du Ministère de l’Intérieur, mais elles contribuent en même à l’installation d’un climat d’instabilité dans le pays. Pour lui, de telles situations secrètent des violences et vont continuer à les sécréter. Il est d’avis qu’en mars 2020, si le Préfet de Dakar d’alors n’avait pas voulu imposer un itinéraire à Ousmane Sonko, les violences qui ont occasionné ces nombreuses morts n’auraient peut-être pas eu lieu. Il raconte également qu’en 1988, c’est une interdiction du meeting du candidat Me Abdoulaye Wade par le Gouverneur d’alors, qui a généré de violentes manifestations, qui ont failli emporter le régime du Président Abdou Diouf.
Le meeting du PDS était prévu le 25 février et celui du candidat socialise Abdou Diouf le 26 et l’autorité administrative a finalement interdit l’organisation de l’opposition, sous le prétexte que le Président Diouf devait être sur les lieux le lendemain. Il renseigne qu’il y a eu une violence inouïe à Thiès ce jour-là, et les militants libéraux se sont également opposés au meeting socialiste. Evidemment dit-il, cette décision administrative a sonné la révolte et les conséquences sont encore vivaces dans la mémoire collective. C’est d’ailleurs pour toutes ces raisons que pour lui, la Place de France, actuelle Promenade des Thiessois, doit être rebaptisée la place du 25 février 1988.
D’ailleurs indique Pape Moussé Diop, il s’en est suivi un élargissement de la crise au niveau national, poussant le Président Diouf à décréter le premier état d’urgence de l’histoire du pays, qui n’a été levé à l’époque, qu’à la veille du Magal de Touba. Selon lui, c’est cet embrasement politique, causé par une décision injuste, qui a finalement conduit à la défaite du PS en 2.000. « Si la loi était scrupuleusement respectée par les uns et les autres, le Sénégal ne connaîtrait pas de violences politiques, car les gens auraient agi d’une manière libre et démocratique » soutient Pape Moussé Diop. Selon lui, en se préparant à la répression d’éventuels manifestants, l’Etat pose les germes de la violence. Et il est constaté au Sénégal, que la police et la gendarmerie sont toujours renforcées en année électorale, par du matériel de répression, alors qu’il ne suffisait qu’à encadrer les manifestations, pour tuer dans l’œuf toutes les velléités d’installer la violence. Ajouté à l’interdiction quasi systématique des manifestations de l’opposition, cela donne un cocktail explosif, pouvant faire beaucoup de dégâts.
EDOUARD LATOUFFE RESPONSABLE APR THIES-OUEST
« Le « Gatsa Gatsa » est une défiance gravissime et inacceptable à l’état de droit ».
« La violence politique n’a jamais été un moyen de confirmation d’un leadership. Dans une société démocratique le débat doit être civilisé. La force des arguments doit primer sur l’argument de la force, des invectives et de la violence physique ou verbale. Quiconque aspire à présider aux destinées du pays, doit se battre contre toute forme de violence ». Tel est l’avis d’Edouard Latouffe responsable de l’Alliance Pour la République (APR) de Thiès-Ouest, cadre à la Loterie Nationale Sénégalaise (LONASE).Pour lui, l’élite politique de la majorité, comme de l’opinion doivent construire des consensus dynamiques.
Toute autre posture de dérive langagière, d’invite à la révolte et à l’insurrection peut à son avis, porter atteinte gravement à la stabilité politique et à la paix sociale. Il pointe ensuite un doigt accusateur sur le parti PASTEEF pour dire que depuis « son irruption dans l’espace public, la violence est allée crescendo. C’est un secret de polichinelle, que notre pays est à un tournant crucial et décisif de son évolution. Il ne fait l’ombre d’aucun doute que la future présidentielle sera celle de tous les dangers. Si Ousmane Sonko, qui a maille à partir avec la justice, conditionne la baisse de la tension politique à la validation de sa candidature juridiquement hypothétique en raison d’une probable condamnation sur deux dossiers auxquels il doit incessamment comparaître, alors, ce sera la porte ouverte à toutes les dérives. Aujourd’hui, il faut admettre que le feu couve sous la cendre.
Ousmane Sonko a signé un pacte de déstabilisation du pays. Rien ne le fera peut-être dévier de sa logique de mettre le feu aux poudres. Mais qu’il sache que nous ferons face et lui apporterons toute la réponse politique qui sied. Nous sommes prêts à la confrontation. Le « Gatsa Gatsa » est une défiance gravissime et inacceptable à l’état de droit ».
AHMED SALOUM DIENG PRESIDENT FORUM ISLAMIQUE POUR LA PAIX
« La situation du pays est telle que, tout le monde a peur »
Ahmed Saloum Dieng Initiateur du premier concours sous-régional sur le Coran, Président du Forum Islamique pour la paix depuis 2003 appelle au calme et à la sérénité. Selon lui, aucun pays ne peut se construire dans un climat de violence et de tension ambiante et il en veut pour preuve le cas de la Libye, aujourd’hui complètement désintégrée par une situation politique explosive. Pour lui, toutes les religions révélées font de la paix le socle de toutes leurs activités, pour permettre aux fidèles de vivre dans l’harmonie.
C’est d’abord Dieu qui a promu la diversité, mais dans la cohésion et le Sénégal a une particularité dans ce domaine. Le pays compte plus de 95% de musulmans, mais plus des 94% sont membres des Tarikha. Et pourtant dit-il, ces tarikhas passent tout leur temps à les appeler à l’adoration de Dieu et de son Prophète Mohamed (PSL) et à promouvoir la paix entre eux. C’est d’ailleurs à ses yeux, le sens des Magals, des Gamous, des Thiants. Mais d’après lui, force est aussi de constater que la violence est générée par de nouveaux phénomènes, portés surtout par les nouvelles technologies de l’information et de la communication, souvent utilisées pour s’attaquer à la vie privée d’autrui, ce qui peut être le point de départ d’une violence aveugle.
« Actuellement, la situation du pays est telle que, tout le monde a peur et il convient de se ressaisir avant qu’il ne soit trop tard. La classe politique est dans un combat sans fin, avec des dommages collatéraux sur le pouvoir spirituel, qui est parfois piétiné dans les réseaux sociaux, alors qu’il est la soupape de sécurité, capable de remettre le train sur les rails. Les hommes politiques doivent aussi soigner leurs discours et le respect des autorités, des institutions, du calendrier républicain incombe à tout le monde sans exclusive.
Mbaye SAMB (L’AS)